20 août 2025

Plongée dans le quotidien d’Authon au XIXe siècle : entre terres, traditions et bouleversements

Un village rural sous le regard du temps : Authon vers 1850

Quiconque arpente aujourd’hui les ruelles d’Authon sent sous ses pas le poids discret du passé. Au XIX siècle, notre village du Loir-et-Cher était bien loin de ressembler à ce qu’il est devenu : ni voitures ni smartphones, la vie y était rythmée par les saisons, les cloches et le souffle de la terre. Petite commune (en 1846, la population plafonne à environ 1100 habitants d’après les recensements administratifs (source : Archives départementales 41)), Authon baignait alors dans une ambiance résolument rurale, caractéristique du Perche vendômois et du Haut-Vendômois.

Vivre à la campagne : travaux des champs et métiers du village

Ici, la terre était reine. La majorité des Authonais étaient des cultivateurs, laboureurs, métayers, tisserands ou journaliers. Les exploitations agricoles, petites et morcelées, se transmettaient souvent de génération en génération. On cultivait le blé, le seigle, l’avoine, parfois le lin et le chanvre. Les journées commençaient tôt, dès le chant du coq, pour se finir à la tombée de la nuit, l’éclat des lampes à huile remplaçant la lumière du soleil.

  • La polyculture dominait : on semait un peu de tout, car la survie de la maisonnée dépendait de la diversité de la production.
  • L’élevage prenait la suite le long des pâtures du Loir et de la Houzée : vaches, volailles, porcs, quelques moutons. Le lait frais transformé en beurre se consommait sur place ou se vendait au marché.
  • Les artisans avaient aussi leur importance : forgeron, charron, maréchal-ferrant, sabotier, mais aussi le boulanger et le meunier, pièces essentielles de la vie du village (source : Monographies communales du Loir-et-Cher, éd. Le Livre d’Histoire, 2003).

Du côté de la forêt, les charbonniers étaient encore présents jusqu’au milieu du XIX siècle. Ils produisaient le charbon de bois, nécessaire notamment pour les fours des boulangers et la forge du village.

Le rythme des saisons, du foyer à la grand-place

Les mois étaient scandés par les tâches agricoles :

  1. Printemps : semences, taille des arbres fruitiers, premières foins.
  2. Été : moissons (manuelles à la faux ou à la faucille !), fenaisons, récolte des fruits rouges (déjà !).
  3. Automne : vendanges (quelques arpents de vigne subsistaient, avant le phylloxera), labours pour préparer les semis, cueillette des pommes pour le cidre, ramassage des châtaignes.
  4. Hiver : entretien des outils, filage du lin ou du chanvre à la veillée, abattage du cochon (véritable fête de l’économie domestique !), réparations diverses.

La grand-place d’Authon, alors devant l’église Saint-Martin, accueillait le marché hebdomadaire et les foires ; c’était le lieu où se croisaient informations, marchandages, et parfois quelques racontars mémorables.

Vie de famille et éducation : une transformation en marche

Au sein du foyer, la famille formait une cellule soudée, souvent élargie (oncles, grands-parents, enfants nombreux). L’endogamie était fréquente : on se mariait entre villages voisins, ce qui renforçait les liens mais aussi les rivalités bon enfant.

  • L’école communale ne devient réellement obligatoire qu’après les lois Jules Ferry de 1881-1882. Mais dès les années 1830, une école de garçons est attestée à Authon, généralement tenue par l’instituteur logé au presbytère ou près de la mairie.
  • La scolarisation des filles progresse plus lentement : on relève dans les archives que, vers 1855, seulement 1 fille sur 4 est scolarisée (Sources : Symposium sur l’enseignement en milieu rural, SHAM, 2012).
  • Les enfants participaient très tôt aux tâches du foyer : garderie des oies, ramassage du bois, filage du chanvre ou même petits boulots saisonniers.

Le dimanche, la messe dominicale faisait office d’Assemblée générale du village. On y voyait défiler habits du dimanche, sabots bien lustrés, et on y échangeait des nouvelles à la sortie, sous le porche ou près du lavoir.

Alimentation et traditions culinaires : le goût du terroir… et du système D

La table authonaise du XIX siècle n’avait rien d’une table gastronomique, mais elle sentait bon la débrouille et l’ingéniosité. Point de grande abondance, mais peu de faim, car on produisait, récoltait ou troquait une grande partie de ce que l’on consommait.

  • Pain : au levain, fabriqué au four communal ou familial. La tournée de pain pouvait durer jusqu’à quinze jours.
  • Soupe : morceau de pain dans un grand bouillon de légumes potager (poireaux, pommes de terre, haricots tarbais, carottes).
  • Boudin, rillettes, cochonnailles, consommés lors de l’abattage du cochon, événement aussi gourmand que fédérateur.
  • Produits du verger : pommes, poires, prunes séchées, noix, incorporées aux tartes ou conservées en bocaux.
  • Fraises : déjà réputées dans la région, en particulier dans les terres sableuses de Sargé et Authon (cf. la “Route de la Fraise” locale d’aujourd’hui qui remonte loin dans l’histoire).

Des recettes ancestrales nous restent : la fameuse fouace, entre pain et brioche rustique, ou encore la “galette au beurre”, que l’on partageait lors des veillées. Les jours de fête, on sortait parfois un poulet, une tarte au pruneau, ou encore le vin de cassis maison.

Les fêtes, une respiration précieuse face au labeur

Les fêtes rythmaient l’année : proces sions religieuses (Saint Martin, Saint Blaise), bénédiction des semailles, bals de la Saint-Jean… La fête communale au 15 août faisait l’événement, drainant les familles des alentours vers la place centrale où se succédaient loteries, carrousels à chevaux de bois, concours de lancer du fer à cheval, et bals à l’accordéon à la nuit tombée.

L’angelus scandait les journées et la cloche annonçait les grands moments (naissances, décès, événements exceptionnels). Quant aux veillées d’hiver, elles étaient le creuset des contes, des chansons à répondre et parfois de la transmission de “secrets de famille”.

  • En 1847, une épidémie de choléra condamne temporairement toute manifestation publique, frappant de plein fouet le Vendômois (source : “Annales médicales du Loir-et-Cher”).
  • Les mariages donnaient lieu à de véritables festins – on comptait facilement une cinquantaine de convives et trois jours de festivités.

Bouger, acheter, transporter : Authon relié au monde

L’isolement était relatif. La route qui relie Authon à Montoire ou Château-Renault est citée dès la première moitié du siècle. Le courrier, longtemps transporté à cheval (le fameux “facteur rural” en blouse bleue), ne devient quotidien qu’après 1870.

  • Le marché de Vendôme, à 25 kilomètres, restait un grand rendez-vous hebdomadaire : chaque mercredi, on partait parfois à 4h du matin avec une charrette, poules, fromages, légumes, et retour le soir.
  • Le train arrivera tardivement : la ligne Paris-Vendôme ouverte en 1865 épargnera Authon, mais doperait le commerce régional. Jusque-là, tout se fait à pied, en carriole ou, pour les grandes foires, en société de voitures à cheval (voir Chronique ferroviaire de la région Centre).

Santé, croyances et solidarités authentiques

Devant la maladie, la débrouille prime, faute de médecin résident. La plupart des soins sont prodigués par des “rebouteux”, sages-femmes, guérisseurs ou prêtres proposant des prières de guérison. Il faut attendre 1883 pour qu’Authon ait son médecin “officiel”.

Les grandes épidémies (choléra en 1832 et 1849, variole, typhus) frappent les campagnes avec violence : on tient alors des “qua ran taines” improvisées dans les fermes et on confie des cierges à sainte Barbe ou saint Roch, saints protecteurs… Les solidarités sont très fortes : lorsqu’une ferme brûle, tout le village se mobilise pour reconstruire la grange ou porter de la nourriture.

  • L’espérance de vie progresse lentement: 39 ans en moyenne vers 1850 en Loir-et-Cher, 41 ans en 1900 (cf. INSEE/Archives départementales).
  • Un pharmacien ambulant, sorte de marchand-apothicaire, traversait Authon deux fois par an pour vendre onguents, potions et mouchoirs parfumés.

Du vieux monde au monde moderne : transitions du XIX siècle

Le XIX siècle fut une période de profondes mutations pour Authon. L’arrivée du chemin de fer dans la région, la naissance de l’école républicaine, la propagation des nouvelles idées politiques (la Révolution de 1848 remua aussi nos campagnes), et le développement du commerce changèrent le visage du village.

  • L’exode rural s’amorce après 1870 : les jeunes, attirés par les villes comme Vendôme ou Paris, partent travailler dans les usines ou les services, ce qui ralentit la croissance démographique du village (source : recensements de population, Figaro, 1900).
  • Quelques notables locaux se distinguent : instituteur, curé, percepteur, ou le “maire-arbitre” du village, personnage central lors des révoltes de 1851 ou des nombreuses discussions sur les taxes ou la répartition des communaux.
  • La modernisation du matériel agricole déstabilise : on passe de la charrue à bras à la charrue à traction animale, puis à l’outil en fer, révolution qui bouleversa les habitudes (voir “Le monde rural en France au XIXe siècle”, Michel Figeac).

Petites anecdotes et héritages d’aujourd’hui

Quelques fragments de cette vie passée subsistent encore dans les traditions ou les mots. Les “barrières blanches”, ces clôtures rustiques sur la route des Touches, rappelaient la pratique du “pacage commun”, quand on menait les bêtes, ensemble, jusqu’à la prairie communale. Les pierres à basses fenêtres des fermettes authonaises témoignent des anciens usages : on passait le pain, le courrier ou des friandises à travers.

Et savez-vous qu’un célèbre maréchal-ferrant d’Authon, surnommé “la Mèche”, avait la réputation de ferrer les bœufs “sans même qu’ils s’en rendent compte” ? Anecdote répétée dans les familles jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale (témoignage recueilli auprès de la Société d’Histoire locale).

Ultime clin d’œil : le sobriquet traditionnel des Authonais, “les Mangeux d’épluchures”, rappelle ces temps où la frugalité de la table était une qualité… et fait sourire aujourd’hui les gourmets du marché dominical.

Regarder le passé pour mieux savourer le présent

À travers cette plongée dans la vie quotidienne du XIX siècle, on mesure combien la force d’Authon tient à la solidarité, à l’amour de la terre, aux petites inventions du quotidien et à l’accueil des nouveautés. Notre histoire résonne encore dans les murs, les noms de lieux, les fêtes, et jusque dans la façon que l’on a d’accueillir l’étranger ou le voisin. Si la modernité a changé nos vies, elle n’a pas effacé cette “esprit d’Authon” : celui d’y vivre ensemble, entre tradition et découvertes.

Sources : Archives départementales du Loir-et-Cher, Monographies communales, Annales médicales du Loir-et-Cher, “Le Monde rural en France au XIXe siècle” (Michel Figeac), Société d’Histoire locale.

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